Quelques mots sur Bertolt Brecht
Bonsoir à tous !
Votre professeur m'a demandé de vous préparer une petite présentation de Bertolt Brecht. À quelques jours de la représentation à La Criée de L'Opéra de quat'sous, maintenant que beaucoup d'entre vous ont écouté "La Complainte de Mackie" ou "Le Chant des canons", il est temps d'en savoir un peu plus sur cet auteur majeur et théoricien du théâtre du XXème siècle.
O. Guéritaine
Quelques mots sur
Bertolt Brecht
Les grands principes du théâtre de Brecht
• Le refus du théâtre traditionnel. Brecht refuse le théâtre traditionnel, en usage en Occident depuis les théories du philosophe grec Aristote (384-322 av. J. - C.), reprises depuis le XVIIème siècle comme la seule conception possible. La conception aristotélicienne veut que le théâtre doit se fonder sur l'illusion et l'identification : l'action théâtrale plonge le spectateur dans quelque chose qui implique son affectivité et épuise son activité intellectuelle. Brecht appelle cela « théâtre dramatique ».
• Les propositions de Brecht. Au contraire des théories aristotéliciennes, Brecht pense que le théâtre doit être « mis au service d'une véritable pédagogie sociale » (J. Scherer) : au lieu d'impressionner le spectateur par un spectacle où il se plonge, en attente du dénouement, il s'agit d'exercer son esprit critique, de l'aider à se mettre en position d'étude de l'homme et de la société. Ainsi, en allant au théâtre, le spectateur peut réfléchir à la façon d'agir sur la réalité pour la changer. C'est une conception socio-politique du théâtre, qui selon Brecht peut et doit changer le monde. Brecht appelle cela « théâtre épique ».
• Les techniques du théâtre brechtien. Le théâtre épique nécessite de nouvelles techniques d'écriture, de mise en scène, de jeu d'acteur. À tout moment le spectateur doit se rappeler qu'il est au théâtre. Cela s'appelle la distanciation (en allemand, Verfremdungseffekt, ou effet d'étrangeté) : ce qui se passe sur la scène m'est étranger, je peux l'observer extérieurement sans que mes sentiments m'empêchent de réfléchir.
— Techniques d'écriture. L'accent est mis non sur le dénouement de la pièce, mais sur son déroulement, même s'il est sinueux. Le spectateur doit rester en éveil. Ainsi, Brecht met au point avec son collaborateur le musicien Kurt Weill la technique des Songs, morceaux chantés introduisant une rupture dans le déroulement de la pièce, où les personnages rappellent les enjeux de l'action comme en les commentant. Certaines de ces Songs sont devenues des classiques de la chanson populaire ou des standards de jazz, comme « La Complainte de Mackie » de L'Opéra de Quat'sous.
— Techniques de mise en scène. Le cadre général est schématisé. On utilise des pancartes exposant le cadre spatio-temporel ou expliquant la signification de l'épisode, on recourt à des histoires enchâssées comme dans Le Cercle de craie caucasien, les figurants font des mouvements pas forcément en accord avec l'action présente, etc.
— Techniques de jeu d'acteur. À aucun prix l'acteur ne « se met dans la peau du personnage ». Il doit montrer qu'il joue, et ne doit pas essayer de faire croire qu'il est. D'ailleurs, la distanciation (Verfremdungseffekt, ou « effet-V. »), qui s'oppose à l'identification (Einfühlung), n'a pas été inventée par Brecht. Dès les origines du théâtre, en Occident ou ailleurs, on en trouve des manifestations dans les théâtres avec masques, décors de carton-pâte, clins d'œil de connivence au public, etc.
• Portée politique. Chez Brecht, l'effet-V. s'accompagne d'une volonté politique d'inspiration marxiste : la réalité est altérée par la société d'exploitation ; cette réalité m'aliène : mais si je m'en distancie, je commence déjà à m'en désaliéner. Selon Brecht, le théâtre est révolutionnaire puisqu'il permet de se libérer de l'exploitation.
Repères bio-bibliographiques
1898 Naissance à Augsbourg (Bavière, Allemagne).
1918 Études de médecine. Mobilisé comme infirmier. Première pièce écrite : Baal.
1923 Rencontre Hélène Weigel, comédienne (mariage en 29). Première pièce jouée : Dans la jungle des villes.
1924 Installation à Berlin.
1926 Premières propositions pour un "théâtre épique".
1927-1928 Travaille avec Kurt Weill. L'Opéra de quat'sous. — Grandeur et décadence de la ville de Mahagonny.
1933 À l'avènement d'Hitler, départ d'Allemagne pour Prague, Vienne, Zurich, Paris.
1936 Direction d'un théâtre à Moscou.
1938 Grand' peur et misère du IIIème Reich. — La Vie de Galilée. Au Danemark.
1939 La Bonne âme de Se-Tchouan. — Mère Courage. En Suède, en Finlande.
1941-44 En URSS. Maître Puntila et son valet Matti. — La Résistible ascension d'Arturo Ui. Aux USA : rencontre avec d'autres artistes allemands anti-nazis exilés : l'écrivain Heinrich Mann, l'acteur Peter Lorre, le cinéaste Fritz Lang, le metteur en scène Erwin Piscator…
1945 Travail avec le metteur en scène et acteur anglais Charles Laughton sur La Vie de Galilée.
1947 Comparution devant la Commission des activités anti-américaines ("Chasse aux sorcières") : y déclare n'avoir jamais adhéré au PC, mais admet pouvoir être considéré comme révolutionnaire « parce [qu'il] étai[t] naturellement partisan du renversement de ce gouvernement [d'Hitler] ».
1949 Fondation du Berliner Ensemble à Berlin-Est.
1954 Première du Cercle de craie caucasien (écrit en 1943-45). Conseiller au Ministère de la Culture de la RDA. Festival de théâtre de Paris : critiques enthousiastes de Bernard Dort et Roland Barthes.
1956 L'Opéra de quat'sous au Piccolo Teatro de Milan (Giorgio Strehler). Mort d'une thrombose coronaire.
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Sources : Bernard Dort, Lecture de Brecht, Seuil, 1960. — Martin Esslin, Bertolt Brecht ou les pièges de l'engagement, 10/18, 1971. — Jacques Scherer, Martine de Rougemont, Monique Borie, Esthétique théâtrale, SEDES / CDU, 1982. — Michel Corvin, Dictionnaire encyclopédique du théâtre, Bordas, 1991.
(1898-1956)